Ma réponse au directeur de la stratégie de Météo-France

Ma réponse au directeur de la stratégie de Météo-France

Tout d’abord, un peu de contexte :

Cela fait dix ans maintenant que je me bats pour faire avancer la situation de Météo-France. Dix ans que j’ai des échanges plus ou moins réguliers avec des équipes en interne, échanges cordiaux, constructifs et réciproquement appréciés. Dix ans également que je travaille au niveau de l’état pour faire évoluer les choses. Vous pouvez, par exemple, lire le rapport que nous avons rédigé à la demande de l’Élysée. Des années que je réclame de rencontrer la direction de Météo-France pour les alerter. J’avais d’ailleurs pu rencontrer les directions précédentes, avec des visions divergentes – certes – mais en bonne entente.

J’ai donc profité d’une réponse à la communication d’éléments comptables dont j’avais fait la demande, pour solliciter un rendez-vous :

Je profite de cet échange pour vous proposer que nous nous rencontrions, afin d’évoquer la stratégie de MF en terme de données publiques. Je pourrais également vous partager mon expérience en qualité de premier diffuseur des données publiques Météo-France (volumétrie quotidienne double par rapport à celle de vos service).

Ceci dans un esprit constructif. C’est un sujet au long cours, sur lequel j’avais déjà échangé avec vos prédécesseurs. Nous pourrions également inviter messieurs Carrière et Desponds avec qui j’ai pu avoir des échanges réguliers sur le sujet.

Mon courriel est resté lettre morte…

Ça n’est qu’après plusieurs semaines et, faute d’avoir pu échanger en privé sur le sujet, après un fil twitter relatant d’une situation tout à fait incroyable, qu’enfin j’ai eu droit à une réponse :

Bonjour Monsieur,

compte-tenu de vos critiques publiques répétées et dénigrantes envers Météo-France, un rendez-vous n’apparaît pas susceptible de permettre de produire des résultats constructifs.

Cordialement

Christophe MOREL

Directeur de la Stratégie
Météo-France

Voici donc ma réponse. Certains me reprocheront d’être trop direct – à ceux-là, je répondrai que cela fait 10 ans que les autres méthodes n’ont pas fait leur effet. Cette réponse, peu importe qu’elle soit acceptée ou non par ses destinataires, aura au moins le mérite d’éveiller les consciences.

RE: RE: Demande de RDV

Copie à Mme Virginie Schwarz, PDG de Météo-France

Mr Morel

Je m’excuse, mais mes critiques répétées ne sont que le reflet des graves dysfonctionnements de votre institution.

Vous les trouvez dénigrantes, moi je les trouve factuelles.

Définition de dénigrer : Attaquer la réputation de quelqu’un, discréditer, parler avec malveillance de quelque chose ou de quelqu’un ; calomnier.

Je n’attaque pas votre réputation. Je ne fais qu’alerter sur la situation, qui est extrêmement préoccupante. Il faut bien que quelqu’un le fasse pour que les choses évoluent.

Est-ce de la malveillance de vouloir vous aider, depuis 10 ans, à partager vos données dans des conditions correctes, en me heurtant à la déconnexion totale des décideurs ? Doit-on rester immobiles sans rien dire pendant que le navire sombre ?

Mon serveur alternatif en est un exemple frappant : je distribue aujourd’hui le double de ce que vous distribuez. Pourquoi pensez-vous que les utilisateurs préfèrent ce servir chez moi plutôt que sur vos serveurs ? Un particulier tout seul fait ce que l’institution n’arrive pas à faire. 7 ans qu’on en parle. Le problème serait réglé avec un hébergement à 1000€ par mois. 1000€ par mois ! Même pas besoin d’un appel d’offres. Moins d’une semaine de travail. Pourquoi même doit-on en discuter ? En 2019, je vous ai même fait une proposition formelle pour vous accompagner sur la mise en place de cette solution – pour un coût ridicule, puis même bénévolement.

Qui discrédite ? Moi, ou l’institution qui facture 128 fois le prix du marché un service premium « qui correspond au coût d’utilisation de la bande passante entre les installations de Météo France et le réseau internet ».

Qui discrédite ? Moi, ou l’institution qui empêche l’accès aux données d’humidité du sol, utilisant des motifs fallacieux, alors même que le pays traverse une situation de sécheresse inédite et que ces données ne génèrent aucun revenu.

Qui discrédite ? Moi, ou l’institution qui vend ses observations tellement cher que les régies publiques se retrouvent contraintes de s’appuyer sur les stations amateurs, pour gérer l’approvisionnement en eau potable de la population.

Qui discrédite ? Moi, ou l’institution qui se vante que la météorologie ait un impact sur 25% du PIB, tout en étant la dernière institution publique à exiger des redevances sur ses données, redevances représentant 0.5% de son budget.

Qui discrédite ? Moi, ou l’institution qui ne respecte pas le RGPD et les pratiques élémentaires de sécurité informatique sur un site de grande audience tel que meteofrance.com, et qui ne prend pas les 10 minutes nécessaires pour le corriger lorsque l’on lui fait la remarque.

Qui discrédite ? Moi, ou l’institution qui a eu une interruption de service de grande ampleur, pour le simple fait ses deux serveurs DNS étaient hébergés sur le même réseau, au mépris des recommandations de l’industrie, pour un service aussi critique.

Qui discrédite ? Moi, ou l’institution qui n’est même pas fichue de transférer ses données de manière fiable à l’IRSN, pour la protection du pays en cas d’accident nucléaire majeur.

Non. C’est Météo-France qui se discrédite toute seule. C’est bien là qu’est le drame. La liste est encore longue. Mais est-ce bien la peine de continuer cet exposé ? Comme depuis 10 ans, je parle à un mur.

Une partie de vos équipes est d’accord avec moi, est convaincue par ma cause et me soutient. « mais c’est plus haut que ça se décide », comme ils disent. Le « plus haut », c’est vous et vos prédécesseurs. C’est directement vous qui portez la responsabilité.

Même lorsque Météo-France a porté plainte contre moi en 2015 – plainte tellement ridicule qu’elle a fait rigoler l’officier de gendarmerie qui m’a reçu et a évidemment été classée sans suites – même là, vos équipes ont indiqué à la fin de la plainte qu’ils souhaitaient continuer à travailler avec moi.

Les services du Premier Ministre, l’Élysée et les magistrats de la Cour des Comptes viennent me consulter sur le sujet.

Mais, à priori, mon propos ne serait pas assez pertinent pour le principal intéressé que vous êtes. C’est peut-être mieux ainsi. Continuez votre dans votre aveuglement.

En refusant de m’accorder un entretien, vous ne faîtes que perdurer la situation actuelle. Mais qu’importe. Faîtes l’autruche. Tout va bien. Vous quitterez le vaisseau dans peu de temps, étant nommé ailleurs, comme vos prédécesseurs, en laissant les stigmates d’une stratégie à court-terme. Stratégie des hauts fonctionnaires, ingénieurs des mines, énarques et polytechniciens, dont on ne peut que constater le résultat à La Poste ou la SNCF.

Non. Je ne suis pas d’accord. Météo-France doit être une fierté nationale. 10 ans que je me bats pour ça, et je continuerai à me battre. J’étais là avant vous et je serai là après vous. Vous avez les meilleures équipes de recherche, vous avez les meilleurs techniciens, vous avez la meilleure science. Le potentiel est là. Mais c’est votre politique qui détruit tout ça.

Prenez l’exemple de nos voisins : toute l’industrie repose sur les données de la NOAA américaine et maintenant de la DWD allemande.

Allez voir des applications populaires telles que Windy.com : on y trouve les modèles globaux de la NOAA, de la DWD, du Met Office anglais, du centre européen. Mais où est ARPEGE ? Est-il si mauvais, je ne crois pas. Où est le rayonnement de votre institution ? Alors oui, vous me direz, il y a AROME. Mais qui a travaillé avec eux pour leur fournir dès le début ? Je vous laisse deviner…

Car, lorsque l’état voudra couper les budgets – paraît-il que c’est à la mode – qui viendra défendre Météo-France ? Qui, à part vous-mêmes ? Qui pleurera la perte de « ce service qui vit avec nos impôts et qui veut tout nous faire payer ».

On vous dira qu’il faut faire des économies et qu’il faut éteindre ARPEGE. À quoi bon le financer ? Ça coûte cher et on peut utiliser le modèle européen, comme nos voisins. On vous dira d’arrêter le développement des excellents Meso-NH et AROME. À quoi bon les financer, puisqu’on peut utiliser des codes ouverts issus d’une collaboration mondiale, tels que WRF. On vous dira qu’il faut supprimer des stations, car des opérateurs privés sont en capacité de déployer des réseaux plus denses et de vous les vendre à un coût inférieur aux vôtres. On vous dira qu’il faut supprimer les radars, que des startups comme HD Rain vont hypothétiquement déployer des solutions moins chères et plus précises. On vous dira qu’on a de toute façon des satellites qui nous fournissent des observations plus nombreuses et plus denses… Et pas seulement EUMETSAT, d’ailleurs, y compris des acteurs privés tels que Spire ou bientôt SpaceX, dans un secteur en pleine effervescence. Rappelez-vous qui sont vos concurrents émergents. Monsanto a racheté The Climate Corporation pour un milliard d’euros. IBM a investi massivement. Voulez-vous disparaître au profit des futurs GAFA de la météo ? Vos voisins de l’IGN ont subi ces problématiques avant vous. Ils commencent enfin à comprendre et à réagir. Suivez leur exemple.

Si demain, un Donald Trump décide sur un coup de tête de fermer le service météo américain, c’est toute l’industrie qui s’effondre et qui saura les soutenir. Peut-on en dire autant pour Météo-France, à qui même les collectivités publiques doivent acheter les services ?

Votre seul moyen de survivre est de vous rendre indispensables.  De vous rendre indispensables en diffusant massivement vos données, en le faisant correctement et en œuvrant activement pour prendre une place centrale dans l’industrie. Pour sauver l’institution, pour sauver les emplois de vos équipes, pour sauver notre souveraineté nationale.

Je ne mâche pas mes mots. Mais la situation est grave, bien trop grave.

Je vous laisse à votre déni.

Cordialement

Nicolas

One thought on “Ma réponse au directeur de la stratégie de Météo-France

  1. Bonjour
    Il faut écrire « au long cours » ! Terme de marine c’est le contraire de cabotage au près des côtes (mais je suppose que vous le saviez).

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